C'est de nos jours une véritable calamité que ce culte de la nouveauté, ou de son expression plus sourde, le changement. Nous sommes sans cesse à la recherche d'un changement, de par nos conceptions mythologiques du temps, précisées par la naissance du Christ en l'an zéro, et cela allant jusqu'à Gandalf qui déclare en voyant un papillon passer devant ses yeux que nous sommes maintenant au début d'une nouvelle ère. Nous voulons que le changement soit un moment.
La réalité est qu'aucun bouleversement ne commence à un moment précis de l'histoire, pas plus qu'une fin en est une. Ce n'est que continuation et influence, réaction et inaction. La rhétorique de certains m'apparaît très semblable à des pensées datant du Moyen-âge, et de voir certains partis politiques profiter de ce raz-le-bol généralisé face aux structures en place en employant le fameux mot changement m'est de plus en plus insupportable de populisme et de négation de la réalité.
Il est vrai qu'il est tentant pour ces mêmes soi-disant élites d'employer ce moyen si simple pour se faire entendre et par la suite faire résonner en nous nos peurs et nos frustrations face à ce monde qui nous entoure de son manteau de lois et de règlements. C'est encore plus tentant lorsque l'on se rend compte que de plus en plus de gens sont sensibles à cette rhétorique incompatible avec le bon sens humaniste, et que par conséquent cela ne peut que les conduire au pouvoir, ou aux postes que notre système démocratique a placé pour ceux qui sont élus.
On pourrait penser que les gens sont de plus en plus informés, de plus en plus critiques, mais il n'en est rien. Notre sur-spécialisation technique et nos vies de famille ne nous laissent plus le temps de réfléchir sur le monde qui nous entoure; nous sommes coupés des structures du pouvoir d'autant plus que le temps avance, laissant à ces opportunistes inconscients le champ libre.
Ils reproduisent alors des modèles déjà-vus, puisqu'ils n'ont eux-mêmes qu'une vague idée au mieux de la perspective historique dans son ensemble, de l'évolution philosophique du monde depuis deux mille ans ou de ce qui existait alors. Ils ne peuvent apporter aucune solution à aucun problème, puisqu'il sont la cause des temps présents. Ils ne savent pas qu'ils pensent de cette façon en réaction à un autre courant de pensée, qui était là avant eux. La sociologie est une science complètement exclue de leur pensée et de leurs préoccupations quotidiennes.
De plus, les gens qui manient la plume et le verbe sont complètement coupés des structures de pouvoir, comme jamais dans l'histoire humaine. Avec la monarchie, le système était clair : même ceux qui se posaient en porte-à-faux avec les décideurs établis soit provenaient de leur propre milieu, soit étaient des dissidents au sein des mêmes ordres. Maintenant, ceux qui réfléchissent et savent ce qui se passe occupent d'obscurs postes universitaires où ils écrivent des livres philosophiques peu connus, soit ils écrivent sur des forums audio au lectorat décimal au mieux.