Discussion avec un pro sur les enregistrements

Dans la vie, des projets, des idées arrivent et s’en vont sans être réaliser. Parfois les circonstances sont favorables et permettent d’aller de l’avant avec une idée. Les enregistrements ont toujours eu une part de mystère et l’idée de discuter avec un preneur de son m’a toujours intéressé. Il fallait au moins que j’essai, que je fasse la demande.

Je vous présente Michel Leduc, professeur en Techniques d’enregistrement. Il a accepté de répondre à quelques questions. Souhaitant qu’elles génèrent une réflexion sur ce métier dont on profite des résultats sans vraiment connaître les tenants et aboutissants du travail de ces artistes.

J’ai lu quelque part qu’être preneur de son est ingrat car lorsque le travail est bien fait, selon les règles de l’art, il est transparent, il ne paraît pas, pour ne faire place qu’à la musique.

Voici la discussion que j’ai eu avec Michel.


• Parlez-nous du métier de preneur de son?
Le preneur de son est aussi un spécialiste du mixage. Il réalise la production à partir de la prise de son jusqu’au mastering du cd. Il voit à l’enregistrement des divers instruments, séparément ou ensembles. Il effectue le mixage des différents instruments ou microphones. Finalement, le mastering consiste à écouter en studio pour une dernière fois le produit mixé et d’y apporter les correctifs nécessaires.

• La musique est un art, l’enregistrement une science, est-ce compatible?
L’enregistrement est à la fois un art et une science. En fait, le preneur de son est un artiste qui travaille avec des outils technologiques. Il sculpte les sons à l’aide d’égalisateurs, de compresseurs dynamiques et « d’expandeurs » dynamiques ainsi qu’une pléiade d’outils.

• Est-ce que les enregistrements dans l’ensemble rendent justice à la chaîne hifi?
Pas toujours. Il y a des enregistrements de mauvaise qualité, comme il y a des musiques de qualité douteuse. La qualité de l’enregistrement dépend de l’habileté du preneur de son et de la qualité des équipements, surtout les microphones et les préamplificateurs.

• Pour un preneur de son, réaliser un enregistrement doit comporter des aspects faciles et difficiles, quels sont ces éléments?
La location d’un studio d’enregistrement coûte assez cher. Le preneur de son doit donc travaillé rapidement. C’est difficile d’exercer un art en se dépêchant. Par contre, avec l’expérience, le preneur de son découvre ses microphones préférés pour chaque instrument et peut donc appliquer ses trucs et recettes. Cela ne donne pas toujours le résultat escompté mais on se rapproche de l’objectif sonore.

• Quelle est la plus grande frustration du preneur de son face à une séance d’enregistrement?
Le preneur de son a peu de contrôle sur le son acoustique de l’instrument lui-même. Il doit souvent composer avec un instrument en mauvais état et tenter, avec la technologie, d’en améliorer la sonorité. Par exemple des vieilles cordes sur un instrument. La sonorité manque de brillance. Ou encore de vieilles peaux sur une batterie qui ne résonne plus.

• Est-ce qu’un enregistrement rock est plus facile à réaliser qu’un jazz acoustique par exemple?
Non. Les deux enregistrements comportent leurs défis. La différence entre les deux est que l’on cherche à obtenir des sonorités différentes.

• Pour celui qui veut une reproduction fidèle de la musique, la compression est un gros irritant, a-t’il raison?
Le compresseur est un outil pour façonner la gamme dynamique et l’enveloppe dynamique (attack, decay, sustain, release) d’un son. C’est en production de musique pop-rock qu’on l’utilise le plus. Mais on peut l’utiliser en jazz aussi. Par exemple, si le bassiste joue trop faible dans les passages doux et trop fort dans d’autres passages, la gamme dynamique doit en être réduite.

Les musiques pop et rock sont composées pour avoir une gamme dynamique très restreinte. Il faut tout entendre les instruments sans que l’un masque les autres par moments. On a alors besoin de beaucoup de stabilité dans la dynamique. En musique rock, la batterie doit sembler avoir beaucoup de puissance. On la compresse alors pour en modifier l’enveloppe dynamique en lui donnant une attaque plus forte. Pour que la voix ait une certaine présence, on augmente les hautes fréquences. Se faisant, certaines consonnes comme les « s » deviennent trop fortes. Il faut avoir recours à un compresseur spécial qui agit sur les « s ».

• Existe-t-il des enregistrements non compressés?
Oui. On compresse rarement la musique classique. Si on le fait, c’est de façon très subtile.

• Selon vous, les artistes sont-ils préoccupés par la qualité de leurs enregistrements?
Oui, beaucoup. Ils expliquent bien le son qu’ils veulent obtenir. Ils sont souvent présents à l’étape du mixage pour écouter et donner leurs commentaires.

• Faites-vous une différence entre la qualité des sons et la reproduction fidèle de la musique?
Avec les années, la sonorité de la musique pop-rock a beaucoup changé. Avec l’évolution technologique, il est devenu possible de capter le son des instruments en y mettant un micro par instrument grâce à des magnétophones multipistes. Avant cela, il fallait par exemple capter la batterie avec 2 ou 3 microphones. Impossible dans ces conditions de contrôler le son d’un tom tout en captant les cymbales par un même micro. On a développé alors la technique du « close miking » où il y a beaucoup de microphones et où ils sont très près des instruments, pour éviter le coulage entre eux. Le coulage est le phénomène qui fait que le son d’un instrument entre dans le microphone d’un autre. Ceci n’est pas souhaitable. Le désavantage est que, en rapprochant les microphones des instruments, on dénature souvent le son original. Par exemple, une guitare acoustique a besoin de ses cordes, son pont, sa rosace et sa caisse pour reproduire un son agréable. Le rapprochement du microphone peut favorise
une de ces composantes sonores. Le son de la guitare doit alors être corrigé électroniquement, comme par exemple à l’aide d’un égalisateur.

Lors de l’enregistrement de musique classique ou de jazz, le preneur de son fait de la captation. C’est-à-dire qu’il cherche à capter le son présent, tel qu’entendu et le plus fidèlement possible. Je ne sais pas si on peut parler de fidélité en musique pop-rock, puisqu’on fabrique les sons. Une batterie enregistrée ne sonne pas comme une batterie tel que vous l’entendriez si vous étiez assis devant. Un spectacle pop-rock avec une batterie non sonorisée ne serait pas agréable du tout à écouter.

• L’audiophile peut-il aider à changer les choses?
Je crois que oui. D’ailleurs les choses changent présentement. On a tendance à approcher moins les microphones des instruments pour obtenir un son plus fidèle.

• Que pensez-vous de la technologie numérique? C’est l’avenir mais est-il possible de reproduire l’âme de la musique?
Oui. L’enregistrement numérique haut de gamme, avec une vitesse d’échantillonnage de 192 kHz et une résolution en amplitude de 24 ou 32 bits sont très fidèles.

• Est-ce qu’un studio est un endroit propice pour la musique? Est-ce qu’un spectacle live est plus prêt de la musique?
Le studio offre une meilleure qualité sonore lors de l’enregistrement. Il permet aussi de perfectionner la qualité de la production musicale en offrant la possibilité de reprendre des parties. Le musicien est sensé être capable de mettre des émotions dans son jeu. Mais c’est probablement plus facile pour lui de le faire en spectacle.

• Est-ce que l’industrie de la musique populaire a une petite pensée pour les audiophiles?
Bien sûr. Le souci de qualité est toujours présent. Par contre, la qualité sonore n’est pas toujours accessible. En pop-rock, les nouveaux artistes émergeants n’ont pas le budget pour faire une production de qualité, qui demande beaucoup de temps de studio.

Merci pour ce temps passé avec les membres d’Audio Café.

Cette discussion fut très instructive.

Amitiés

Richard et tous les membres d’Audio Café

Merci pour ce CR Richard.

C'est dommage qu'ils décident certains aspects.
* Il faut tout entendre les instruments sans que l’un masque les autres par moments *

Pourquoi on doit entendre la petite clochette dans le fond de la pièce en permanence ?

Voila pourquoi La Isla Bonita (Madonna) version originale présente 18 db de dynamique vs la version nouvelle qui en présente 5 dB. Inutile de dire que la petite clochette dans le fond sort très fort maintenant et qu'il ne reste plus de dynamique dans la musique. La clochette n'est pas importante ... ce qui importe est le rythme ... pas de dynamique = pas de rythme.

Oui super intéressant;

tu as pas mal fais le tour... Je relirai demain matin, si on a des questions suplémentaires est-il disposé à répondre à nouveau? J'ai rien de particulier ce soir mais demain qui sait.

En passant, ce qu'il dit sur la batterie qui peut enterrer la voix.. Richard Séguin vient de sortir son nouvel album sans batterie pour justement ne pas nuire à la voix. C'est pas mon type de musique mais je trouve que c'est un bon moove de sa part.

J'ai trop entendu des percussions envahissantes avec les chanson à texte.

J'ai aimé la voix de Maurane mais il y avait un de ces boucant de percussion qui moffait le tout.

Merci pour les bons mots,

Pourquoi pas, des questions veut dire qu'il y a de l'intérêt, alors.......

Je suis un peu comme vous, cette façon de faire est frustrante. J'aurais eu des questions moi aussi mais bon, c'est une première et si c'est concluant, nous pourrons penser à une formule revue et corrigée.

Il y a le "chat". Je pense à une formule, une façon de faire qui pourrait être dynamique pas mal. Mais comment coordonner la discussion???????

Excellente entrevue Richard !
Les propos tenus rejoignent beaucoup ceux que j'avais eu avec Walter Schupbach de Stereolith, ingénieur du son, qui a toujours beaucoup insisté sur la prise de son. Les rejoignent et les dépassent puisque entre temps la "technique" a progressé, c'est à dire est devenue encore plus envahissante !
Walter évoquait notamment le coulage entre les nombreux micros mal positionnés et le souk obtenu au final...
Il va sans dire que je suis un adepte du simple "micro tête" placé dans la salle, en concert live acoustique, et des enregistrements sans compression !
Tout le reste, c'est de la bidouille, plus ou moins justifiée et plus ou moins réussie

Michel,

Tu me rappelle certaine discussions avec WS. J'ajouterais que selon lui le signal stéréo est très fragile. Que toutes les manipulations génétiques sur le signal stéréo l'altére. Une chose ce précise aussi, ce ne sont pas tous les styles de musique qui subissent les assauts de la technologie. Se pourrait-il qu'un enregistrement pop/rock puisse être excellent sans manipulations? Sais pas.

Celui qui investit en hifi peut écouter du pop/rock, ce n'est pas le problème. Les sommes d'argent consenties dans ce cas précis, dépenses ou investissement?

C'est sur cette question que le sort de la hifi se joue. S'il est possible d'obtenir des enregistrements pop/rock fidèles c'est à nous de bouger, de faire valoir une opportunité d'affaire auprès de gens qui n'attendent que ça. D'après moi, on mettrait les preneurs de son de notre coté.

J'ai malgré tout la fâcheuse impression que tous les enregistrements seraient très bons sans aucune manipulation !
Toujours en fâcheuse impression : ne justifieraient-ils pas à postériori le besoin de corriger ceci ou cela, uniquement pour utiliser la multitude de consoles, micros, pistes et logiciels à leur disposition ?
Autrement dit, est-ce bien nécessaire ou encore, pourquoi ce qui est bon pour la musique classique ne le serait pas pour le pop/rock ?
Escalade technique ? Tendance à en faire trop pour se mettre en valeur ?

bravo richard

beau tour de force que tu viens d'acomplir
tres instructif et enrichissant
je vais le relire moi aussi

.

Citation :

Autrement dit, est-ce bien nécessaire ou encore, pourquoi ce qui est bon pour la musique classique ne le serait pas pour le pop/rock ?

Michel, c'est une très bonne question. N'étant pas preneur de son je n'affirmerai rien mais je vais tout de même tenter une réponse. J'imagine que tous ces accessoires de compression, reverb et autres limiteurs, facilite le travail du preneur de son qui a une somme d'enregistrements à réaliser dans un temps donné. La musique classique n'a pas les même objectifs de diffusion. Je me demande si le classique devenais aussi populaire que le pop/rock si les séances d'enregistrements ne seraient pas compressées dans tous les sens du terme.

J'espère aussi qu'il y aura d'autres rencontres avec Michel et pourquoi pas d'autres spécialistes, des représentants de l'industrie audio, des fabriquants, que sais-je encore. Une chose est certaine il faudra travailler la formule, l'intérêt est là c'est certain et cela génère des questions. Mais bon c'était une première, il fallait partir la patente.

Si vous avez des idées, je suis partant.

Le défi dans ce genre de projet c'est de ne pas oublier que nous avons un invité qui oeuvre souvent dans un monde que nous audiophiles ne connaissont pas trop et que nous avons la critique facile, moi du moins. Cette expérience m'a permis de m'ouvrir sur ce monde et de découvrir un métier formidable. J'aurais tant de questions tout comme vous autres, j'en suis certain.

Une autre aventure à mettre dans notre palmarès.

Je m'en voudrais de ne pas souligner la générosité de Michel Leduc sans qui ces questions seraient demeurées sans réponse.

À une prochaine Michel.

Richard

Conseils d'un pro pour les pros :

http://fr.audiofanzine.com/prise-de-son-mixage/editorial/dossiers/le-gros-son-sans-compression.html

http://www.plugini.com/download/1641-tt-dynamic-range-meter-v14a.html

Armorik, merci très intéressant.

J'ai ressorti des réponses à l'article ce plug in qui lorsque l'on passe une pièce de musique, calculerait la dynamique "Dynamic Range". Ce plug in est pour le preneur de son mais il semble qu'une pièce de musique c'est une pièce de musique, faudrait l'essayer.

Bonjour à tous,

Comment pourrait-on définir la fidélité en musique pop-rock? Est-ce que ce serait d'être fidèle aux premiers albums de rock & roll? Ou est-ce que ce serait d'être fidèle au son que l'on entend durant un spectacle de pop-rock? En spectacle, il y a manipulation du son aussi. Il n'y a pas de référence. La sonorité de cette musique a été construite avec les années.

Par contre j'avoue que, pour la musique populaire (Séguin, Bélanger, Boulay…) il peut y avoir une notion de fidélité. La guitare acoustique, la voix… il existe des références. Par contre ces sons sont aussi manipulés, et compressés légèrement. Dans la musique populaire, on doit tout entendre de façon relativement stable en partie parce que cette musique est vouée à passer à la radio. Hors, on doit tout entendre même à faible volume sur la petite radio de cuisine ou de bureau.

Les musiques rock et "dance" sont beaucoup compressées. Les objectifs de sonorités sont très différents de ceux de la musique acoustique et classique. En musique classique, on veut entendre toute la dynamique; les passages très doux et les passages très forts. C'est de cette façon que la musique classique est composée. En musique rock, les objectifs sont différents. On veut tout entendre, tout le long de la pièce, on ne veut pas que la voix masque la section rythmique qui est très importante, on veut que ce soit fort, qu'il y ait du "punch". C'est comme ça que la musique rock est composée. Alors on compresse.

Salutations,
Michel Leduc

salut Michel,

Intéressant ces précisions. Il est aussi certain pour l'audiophile que demander de ne pas compresser la musique rock est illusoire et inutile. Ils sont à fond la caisse et cette musique n'a pas vraiment de dynamique.

Je te raconte, j'a reçu le dernier Paul Piché en cadeau. Un dimanche matin je l'écoute, je suis à l'ordi, pour te situer, je suis de dos à ma chaîne. Tout d'un coup il y a quelque chose qui ne marche pas, comme si quelqu'un me criait après. C'est une impression que je n'ai pas aimé. Je n'écoute plus ce cd, comme je n'écoute plus les deux derniers Bélanger tellement ils sont mal enregistrés, Karkwa. C'est dommage car la musique est bonne chez tous ces artistes

Je me suis acheté le dernier John Lennon. Une idée brillante de ONO. 2 cds, le premier avant le mix et l'autre les mêmes pièces que l'on a entendu à la radio. Vraiment deux mondes que ces cd, riches en enseignements.

très intéressant. Marci à Michel et Richard.