Mon grand-père était un homme dévoré par les convictions. Il les supportait très mal, mais ne semblait pas pouvoir s'échapper de leur emprise. Il était d'un caractère laissant présager une de ces maladies mentales dont le temps finit par effacer les traces susceptibles de nous la faire découvrir. Personne ou presque ne pouvait le supporter. Il a terrorisé tout le monde en son temps, détenant les dangereux leviers du pouvoir économique et social entre ses gigantesques mains. Le désastre qu'il a laissé derrière lui est aujourd'hui une réalité dont les cicatrices ne s'effaceront jamais de la peau de ceux qui l'on côtoyé.
Il aimait les petits animaux et les enfants.
À sa mort, il me légua une seule chose: sa montre. Je n'attendais rien de lui, aussi fus-je surpris de voir arriver dans un écrin de velours une montre que je me glissai au poignet.
Je la traitai fort mal: je ramassai des poubelles avec, je cordai du bois, transportai des milliers de quartiers de viande gelée, je pris ma douche souvent en sa compagnie. Au comble du désintéressement pour elle, j'échappai une brique dessus, et ce fut sa fin; elle alla dans le fond d'une boîte passer une dizaine d'années.
Un matin où je me promenais dans un marché aux puces, j'eus envie de m'acheter une montre, car c'est un bien beau bijou que celui qui sert à donner le temps. Ma copine de l'époque me fit remarquer que j'en avais une, celle de mon grand-père. La déception de ne pas pouvoir dépenser mon argent fit place à l'excitation de le dépenser pour autre chose, et j'apportai la montre le lendemain au bijoutier pour qu'il la répare.
Devant l'air ébahi du bijoutier à la question que je lui posai, à savoir si la montre valait la peine d'une réparation, je lui demandai combien elle valait, et il répondit sans hésiter qu'une telle montre en or 18 carats valait au bas mot 2000 dollars.
Je possédais le sens d'une vie enfermée dans un contenant dont j'avais mal jugé la valeur; c'est l'une de mes plus profondes blessures.
Quels sont ces albums que vous n'aimiez pas au début, et que vous adorez maintenant?